Les relations entre la Chine continentale et Taïwan durant le mandat de Hu Jintao

Durant le mandat de Hu Jintao, des changements substantiels ont été enregistrés dans les relations à travers le détroit de Taïwan. Bien qu’elle ait soutenu la promulgation de la Loi Anti Sécession, sa politique s’est basée sur le développement de l’interdépendance économique mutuelle qui a atteint son apogée avec l’ECFA. La « troisième coopération » entre le KMT et le PCC à partir de 2005 et l’élection de Ma Ying-jeou en tant que président de Taïwan en 2008 –réélu en 2012- ont été essentielles pour le rapprochement.

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Durant le mandat de Hu Jintao, des changements substantiels ont été enregistrés dans les relations à travers le détroit de Taïwan. Bien qu’elle ait soutenu la promulgation de la Loi Anti Sécession, sa politique s’est basée sur le développement de l’interdépendance économique mutuelle qui a atteint son apogée avec l’ECFA. La « troisième coopération » entre le KMT et le PCC à partir de 2005 et l’élection de Ma Ying-jeou en tant que président de Taïwan en 2008 –réélu en 2012- ont été essentielles pour le rapprochement.

Jusqu’à l’an 2000 nous pourrions dire que les autorités de Chine et de Taïwan partagent, à quelques nuances près, un même objectif unificateur. Avant le début du processus démocratique à Taïwan (1987), le PCC et le KMT affirment avoir le même projet bien que leur inimitié idéologique ne facilite pas la compréhension. D’un côté et de l’autre, sous le gouvernement des Partis-Etats, l’accord aurait pu s’avérer relativement facile et même réalisable en marge des sociétés respectives. L’irruption du pluralisme et de la démocratie dans la vie politique taïwanaise consolide une scène beaucoup plus complexe qui rend difficile la conclusion sans la validation subséquente de la société locale. La victoire de Chen Shui-bian en 2000 augmente les différends.

La réponse de la Chine continentale au cap taïwanais, de type crypto-indépendantiste, basé sur l’affirmation d’une identité différenciée et sur l’éloignement de la Chine continentale, provoque une radicalisation verbale, la limitation des contacts bilatéraux à des aspects techniques, une asphyxie diplomatique et un exhibitionnisme de musculature militaire qui augmente la nervosité dans la région et dans le monde. La primauté d’une approche « dure » des relations avec Taïwan ne provoquera pas la reconduction du processus mais une nouvelle aggravation après la réélection de Chen Shui-bian en 2004, avec une différence minime des suffrages, au milieu de graves accusations de fraude.

L’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante au PCC facilite le changement de cap en intensifiant une politique omnicompréhensive capable de transcender la relative domination du DPP en arbitrant des formules de perméabilité sociale pour freiner le soutien électoral du souverainisme. Même la promulgation de la législation anti- sécession par le macro parlement chinois, en mars 2005, ne pourra empêcher  que, cette même année, quelques semaines plus tard, le PCC et le KMT (Kuomintang) débutent leur « troisième coopération » avec en commun la mission de freiner l’indépendantisme, d’isoler Chen et le DPP,  de préserver le statu quo et d’assurer une évolution pacifique dans le détroit de Taïwan.

La victoire de Ma Ying-jeou (KMT) aux élections de 2008 déclenche la mise en place d’une batterie de mesures de divers ordres qui génèrent un climat aux antipodes du précédent. Tout cela débouchera, en juin 2010, sur la signature de l’ECFA (Accord-Cadre de Coopération Economique, sigles en anglais), un accord-cadre destiné à discipliner et à faire avancer les relations économiques et commerciales bilatérales, fondement essentiel sur lequel va se construire tout le processus de normalisation entre la Chine continentale et Taïwan, basée sur l’acceptation mutuelle du « Consensus de 1992 ».

Une évolution en trois temps

Nous pouvons distinguer trois étapes parfaitement différenciées:

Crypto-indépendantisme et confrontation (2002-2005)

Chen Shui-bian, qui prend le pouvoir en 2000, tient durant tout son mandat un discours souverainiste (1), en cohérence avec le programme de son parti, le DPP. Bien qu’il modère les revendications indépendantistes et qu’il évite la célébration d’un plébiscite lié à celles-ci qui déclencherait la réponse continentale, il ne cède pas sur l’engagement de la taïwanisation. Ainsi, il encourage des processus de consolidation de la souveraineté qui compensent l’augmentation de l’influence économique de la Chine sur l’île à travers l’affirmation d’une identité propre qui opposera une digue insurmontable à l’objectif d’unification: une conscience identitaire majoritaire parmi la population de l’île.

Le processus d’auto-identification de Taïwan doit affronter trois résistances principales. Premièrement, l’inertie des dynamiques économiques. À l’arrivée de Hu Jintao au secrétariat général du PCC (2002), l’investissement taïwanais en Chine continentale atteint les 60 000 millions de dollars américains. Chen-Shui-bian sera incapable de stopper cette évolution. (2)

Deuxièmement, l’opposition politique interne. Les actions de Chen influencent la prise de conscience, au sein du KMT, de l’urgence de dépasser les différends internes et d’opposer une stratégie de contention au souverainisme présagé par le DPP.
Les possibilités d’instrumenter un agenda de rapprochement vers le continent sont directement proportionnelles à la capacité du KMT à récupérer sa position hégémonique sur la scène politique taïwanaise.

Ce sera durant les élections organisées dans les villes de Taipei et de Kaohsiung (le 7 décembre 2002) que, pour la première fois depuis les cinq années précédentes, le KMT réussira à passer devant le DPP dans les intentions de vote (3). La victoire de Ma Ying-jeou à Taipei (par 64,1 pour cent contre 35,9 pour cent pour son principal adversaire, Lee Ying-yuan), fait de lui la figure la plus importante du KMT. L’annonce de Lien Chan (KMT) et de James Soong (PFP) qu’ils se présenteront ensemble aux élections présidentielles de 2004 sera une autre conséquence politique importante de ce processus électoral. 

Après la défaite de Lien Chan en 2004, la consolidation du leadership alternatif de Ma Ying-jeou se développe parallèlement à la défense du statu quo et au refus de toute initiative pouvant le mettre en danger, et également grâce à la promotion d’une certaine taïwanisation du KMT, dont l’objectif est de désamorcer les tentatives de le discréditer, en tant que parti « étranger » qui a « colonisé » l’île en exerçant une répression brutale. Cela révèle un équilibre délicat entre un discours pro-chinois qu’il ne cache pas, et l’identification aux valeurs authentiques de Taïwan, exaltées par le DPP. Le KMT réalise alors un effort d’adaptation de son discours aux idées locales faisant écho dans une société relativement encline à accepter le message souverainiste.

Troisièmement, le refus catégorique de la Chine continentale. Beijing exprime clairement qu’il n’y aura aucune reprise du dialogue tant que les nouvelles autorités de Taipei ne reconnaîtront pas le principe d’«Une Seule Chine» (4), inadmissible pour le DPP.

La Chine dispose alors de peu d’appuis internes à Taïwan (le plus important étant le collectif d’entreprises, réticent vis-à-vis des orientations pro-indépendantistes du DPP) pour mettre un frein au sécessionnisme. Cependant, à mesure que Chen structure et dote la souveraineté taïwanaise de nouveaux contenus avec l’aval de la légitimité populaire et en montrant les attributs classiques de la souveraineté sur son territoire, la Chine s’efforce de réduire sa projection internationale en se rappelant les limitations de jure qui rendent relatifs ses succès dans la construction nationale.

Le pouvoir économique croissant et l’augmentation de l’influence continentale lui permettent d’assener un coup après l’autre à la « diplomatie du dollar » (5). Chen débute son mandat avec 29 alliés diplomatiques, qui descendront à 23 en 2008 (la Dominique, la Macédoine, le Libéria, Grenade, le Tchad et le Costa Rica ont reconnu Beijing), avec des allées et venues d’autres alliés.

Chen ne parvient pas non plus à convaincre les États-Unis de l’importance de maintenir Taïwan éloigné de l’influence continentale. L’idée de renforcer l’indépendance pour rendre difficile la construction d’un empire chinois hégémonique et autoritaire se heurte aux garanties données par le président Bush selon lesquelles il ne fera rien qui puisse altérer le calme des relations au sein du détroit.

Le XVIe Congrès du PCC (2002), qui élit Hu Jintao Secrétaire Général, apporte deux nouveautés en la matière. D’une part, il montre une relative disposition à la flexibilité. «Tout est négociable sur la base de l’acceptation commune de l’existence d’une seule Chine », affirme Qian Qichen, alors vice-président et chef de l’Etat et du PCC en la matière, encore dans un contexte que l’on devine difficile à mettre en place étant donnée la tournure du discours prédominant sur l’île et l’influence décisive que l’armée manifeste sur l’orientation de la politique continentale envers Taïwan. La seconde nouveauté sera de nature idéologique. L’adoption de la théorie des «Trois représentativités » (6) ouvre des portes aux chefs d’entreprises dans le PCC. L’introduction des héritiers de classe des personnes expulsées par Mao en 1949 dans les rangs du parti communiste exprime une volonté de réconciliation que de nombreuses personnes qualifieront de contre-nature. Cependant, cette nouvelle réalité rendra plus insoutenable le prêche de la cohabitation impossible des deux sujets politiques dans une seule Chine, issus d’une guerre civile qui exprime également la confrontation entre deux manières de comprendre l’organisation et la structure de la société, de l’économie et de leurs supports basiques.  

Le changement de tactique en Chine continentale est clairement visible durant les élections de 2004. La Chine garde son calme et évite toute démonstration de force. Le succès est proche. Chen gagne les élections de justesse, suite à une grande polémique due à une tentative d’attentat opportune, mais aucune des deux consultations plébiscitaires n’aboutira car le taux de participation minimum exigible (50% des personnes recensées) ne sera pas atteint. Malgré cela Chen reçoit un million et demi de voix de plus que celles obtenues en 2000, passant de 39% à 48,84% des voix, avec un taux de participation supérieur à 80%.

La défaite au cours des référendums signifie implicitement que les citoyens ne souhaitent pas la confrontation, le problème étant que cela empêche le gagnant de gérer ce discours. Au contraire, sa proposition de promulguer une nouvelle Constitution, qui officialiserait l’adieu définitif au rêve de représenter la Chine républicaine, née en 1912, à Taïwan, menace de sonner l’alarme.

Ce climat de tension et d’incertitude recevra dans les urnes un nouveau message en faveur de la modération au cours des élections législatives du 11 décembre 2004. Le KMT étend sa majorité et contrôle désormais 116 sièges. Ce résultat éloigne la possibilité de rédiger une nouvelle Constitution et dérange d’autres plans de Chen (qui démissionnera de la tête du DPP en raison du désastre électoral) comme l’initiative du changer officiellement le nom du pays).  

Les résultats de ces élections, combinant l’isolement du DPP à la main tendue aux partisans de l’unification, encouragent Beijing à suivre la voie suggérée lors du XVIe Congrès du PCC.  Le premier accord pour la réalisation de vols directs entre la Chine continentale et Taïwan, pour la Fête du Printemps de 2005 (7) sera un indice sans équivoque. La gestion continentale inclut deux données significatives. Premièrement, les autorités rendent floue la participation officielle à la négociation, conduite par les associations professionnelles du secteur, en « dépolitisant » le dialogue. Deuxièmement, l’annonce de l’accord électoral a lieu en présence d’une délégation du KMT.

La position de la Chine, entre indifférence calculée et éloignement hostile, se combine alors au développement des liens économiques et des liens d’entreprises au nom de la création d’un cadre d’influence capable d’enrayer les projets politiques du DPP et d’affaiblir Chen. De cette manière, grâce à la tactique récurrente et très utilisée du « bâton et de la carotte », la corrélation des forces évoluera progressivement en faveur des thèses continentales.

Le soutien au nouveau cap (2005-2008)

À la fin du mois de mars 2005, une délégation du KMT visite la Chine continentale. Cette initiative vient opposer au discours de la tension permanente la volonté d’un dialogue soutenu sur des sujets aussi variés que l’ouverture du marché financier chinois, la coopération agricole ou l’établissement des vols directs entre les deux rives du détroit.

Le mois suivant, Lien Chan, président du KMT, visitera l’île, rendant officielle la « troisième coopération » entre le KMT et le PCC. Hu Jintao reprendra ainsi une proposition déjà faite par Jiang Zemin dans ses « huit points » (1995) (8), en l’étendant au PFP de James Soong, également invité à visiter le continent, de même qu’au Nouveau Parti (NP), le plus identifié à l’unification.

Trois choses sont à souligner. En premier lieu, la confirmation de l’abandon stratégique de la politique de force de Beijing, qui servira uniquement à renforcer l’animosité envers la Chine dans une bonne partie de la population taïwanaise. Deuxièmement, l’élargissement du fossé entre la présidente souverainiste de Taïwan et l’opposition qui apporte son soutien à Beijing afin d’isoler Chen. Troisièmement, dans la pratique, des accords seront rendus possibles sans que le gouvernement, malgré toute son autorité, puisse les empêcher, de sorte qu’il s’avèrera de plus en plus compliqué pour le président Chen de continuer à adoucir l’image d’hostilité et d’agressivité du continent qui lui était si favorable jusqu’à ce moment.

La visite de Lien Chan revêt une grande signification historique (9). Il s’agit de la première rencontre officielle de cette importance entre les deux partis protagonistes la plus grande lutte fratricide du vingtième siècle, le PCC et le KMT, qui ouvre une nouvelle phase dans les relations à travers le détroit de Taïwan depuis le début de la politique de réforme et d’ouverture de Deng Xiaoping, à la fin de l’année 1978.

L’assaut suivant  se produira durant les élections municipales partielles célébrées le 3 décembre 2005 (10). Le KMT considère les élections comme un plébiscite et remporte un triomphe écrasant (50,96 % des voix contre 41,95 % pour le DPP). Il s’agit de la plus grande défaite du DPP depuis son accès au pouvoir en 2000. Celle-ci provoquera une désertion et la déroute dans ses rangs. À la majorité opposante au Yuan législatif s’ajoute désormais une autre majorité défiante dans les gouvernements locaux. À Beijing, Hu Jintao caresse trois objectifs : l’isolement du président Chen, le boycott de son agenda politique et la diminution du soutien électoral du DPP.

En avril 2006, a lieu le premier Forum Économique et Commercial entre les Deux Rives du Détroit de Taïwan, organisé conjointement par le PCC et le KMT, auquel participent des investisseurs et des chefs d’entreprises taïwanais basés en Chine (11). Chen Yunlin, directeur du Bureau de Travail sur Taïwan du Comité Central du PCC, annoncera des mesures préférentielles diverses afin de favoriser les exportations taïwanaises de produits de l’agriculture et de la pêche, la reconnaissance des diplômes universitaires délivrés à Taïwan, la libéralisation des visites sur l’île, etc. La rencontre entre Hu Jintao, en sa qualité de Secrétaire général du PCC, et de Lien Chan, Président d’Honneur du KMT, scelle le succès de l’entente obtenue. (12)

Une para-diplomatie particulière prend ainsi corps, dont les artifices, le PCC et le KMT, exercent en pleine conscience de leur asymétrie, à partir du moment où l’une des parties, le PCC, peut garantir le plein accomplissement des engagements pris, alors que l’autre, appartenant à l’opposition à Taïwan, suggère qu’ils soient réalisés par d’autres acteurs sociaux du secteur, directement liés aux problématiques ayant suscité le rapprochement.

Les progrès de cette nouvelle relation entre le PCC et le KMT et les graves accusations de corruption présumée lancées contre Chen Shui-bian et son entourage familial nourrissent les heures les plus sombres de sa gestion politique et détruisent le patrimoine éthique sur la scène publique dont jouissait sa formation et qui à l’époque était devenu l’une des principales clefs de son triomphe électoral.  

Bien que l’opposition présente au Yuan législatif ne parvienne pas à obtenir sa destitution grâce au niveau parlementaire exigible (trois motions de censure sont présentées en tout), la dimension de la crise présidentielle paralyse totalement l’action du gouvernement. Le mouvement civique encouragé par Shih Ming-teh, un dissident, emprisonné pendant vingt-cinq ans par le KMT du temps de la loi martiale, leader du DPP entre 1993 et 1996, portera la dernière estocade, la plus douloureuse, à Chen Shui-bian. (13)

Les élections municipales du 9 décembre 2006 à Taipei et à Kaohsiung dessinent un nouveau portrait de l’évolution politique de la situation. Le KMT présente la convocation comme une opportunité pour censurer le président Chen et la complicité du DPP, de par les pratiques de corruption qui ont accompagné son gouvernement durant la dernière année. Cependant, celui-ci supportera l’attaque plus sereinement que ce à quoi l’on s’attendait. Non seulement il conservera Kaohsiung, un bastion traditionnel, mais à Taipei, son candidat, l’ex premier ministre Frank Hsieh, obtiendra 40,9 % des suffrages, dépassant les 35,9 % obtenus en 2002. Ceux qui ont été déçus par le DPP ne voteront pas pour le KMT et la décision des électeurs sera moins influencée par la corruption que par l’engagement identitaire du KMT. Malgré Chen, sur l’île il y a un électorat solide, souhaitant une opposition forte qui empêche le KMT d’avoir les mains libres pour piloter sans entrave les négociations avec le continent. (14)

En avril 2007, le PCC et le KMT analysent la nouvelle conjoncture au cours d’une rencontre entre Hu Jintao et Lien Chan (la troisième depuis 2005) avant un nouveau forum auquel participent de nombreux chefs d’entreprises et députés du KMT. Les autorités chinoises annoncent qu’elles ne changeront pas leur stratégie : de nouvelles politiques préférentielles sont approuvées en matière de tourisme, de communications et de transport ainsi que d’échange interscolaire et infantile. Les deux hommes partagent une vision commune des élections législatives du 12 janvier, des présidentielles du 22 mars de l’année suivante et également le même diagnostic : Chen profitera des Jeux Olympiques de Beijing pour justifier son projet souverainiste, en défiant l’attitude du continent face à un évènement qui se veut la carte de visite de la nouvelle Chine, moderne et pacifique, face au monde. Au cours de la commémoration du 80e  anniversaire de l’Armée Populaire de Libération (APL), Cao Gangchuan, ministre de la défense, réclame la « tolérance zéro » vis-à-vis de l’indépendance de Taïwan (15). La Chine acceptera-t-elle d’avoir recours à la force malgré les multiples contre-indications?

Le déroulement de la longue campagne électorale sera à nouveau marqué par la capacité de Chen à organiser son agenda politique et l’incapacité de l’opposition à entraver son but. L’axe principal de la campagne est la convocation d’un plébiscite à propos de l’adhésion de Taïwan aux Nations Unies. Quelles différences séparent-elles le KMT du DPP ? Le KMT insiste sur le fait que Taïwan est et doit rester la République de Chine, face à la thèse du DPP qui préconise l’abandon de cette dénomination étant donné qu’elle implique l’existence d’une identité commune avec la Chine continentale, niée et refusée par le DPP. C’est pourquoi le parti revendique un changement de nom officiel, exigeant une modification constitutionnelle. Chacun propose donc une consultation sur cette adhésion avec une dénomination différente.

Le XVIIe Congrès du PCC (en octobre 2007) freine ses propres partisans d’une main ferme par un double message : l’invitation au dialogue sur la base du « Consensus de 1992 » et le refus de la dérive souverainiste (16). L’industrie sera la première à le prendre au mot, et les premiers changements seront initiés avec la réclamation de l’abandon des projets de plébiscite et la proposition, en échange, l’élaboration d’une législation sur la coexistence pacifique entre les deux rives du détroit.
Les élections législatives du 12 janvier 2008 se soldent par la victoire incontestable du KMT, qui gagne sur deux tableaux : il obtient 81 sièges au Yuan législatif, sur un total de 113, soit plus des deux tiers de la chambre, et il fait échouer les propositions de référendum qui, avec 26 % de participation restent très loin des 50 % nécessaires à sa validité légale. Le KMT a appelé à l’abstention. Le DPP, quant à lui, remporte 24 % des voix et 27 sièges.

La boucle sera bouclée au cours des élections présidentielles du 22 mars 2008, caractérisée par une modération notoire des candidats : Ma ne se risquera pas à parler d’unification avec le continent ni de la culture chinoise en tant que lien entre ces deux réalités, mais simplement d’un marché commun. Au sein du DPP, la dispute des voix se centre sur l’acceptation d’un rapprochement avec le continent par paliers qui soulageront les tensions et contribueront à améliorer les attentes vis-à-vis de l’économie et des entreprises de Taïwan, sans renoncer à la taïwanisation de l’île. Ma l’emporte avec 58,45 % face à 41,55 % pour son rival Frank Hsieh, avec une différence de 2.214.065 voix.

Non seulement Ma parviendra à gagner les élections présidentielles mais il accomplira quelque chose de plus difficile encore : réconcilier le KMT avec Taïwan. Protagoniste indiscutable de la vie politique de l’île depuis 1945, la répression dictatoriale exercée depuis le départ contre les autochtones rend difficile sa survie dans d’autres conditions. Le KMT de la dictature devient le KMT de la démocratie taïwanaise. La régénération interne, l’arrivée de nouveaux leaders aux racines plus locales et le fait d’assumer un discours capable de faire concurrence aux partisans de l’indépendance de l’île en matière « d’identité nationale » consolident ce changement difficile.

Cette transformation à succès devra affronter un autre défi difficile : évaluer sa propre identité en tant que parti taïwanais. Le KMT n’a jamais caché sa dimension pro-chinoise et une vocation allant beaucoup plus loin que les limites de l’île. Cependant, tout au long de la campagne électorale, Ma, en s’éloignant de la stratégie partisane pour érafler plus efficacement la base électorale de ses rivaux, fera de nombreux clins d’œil à une politique beaucoup plus centrée sur l’île, en favorisant, de ce fait, une renonciation virtuelle à cette autre identité traditionnelle qui l’identifie comme un parti d’origine, mais également de destinée, continentale.

Le bilan de la première étape de cette entente entre le PCC et le KMT est modérément positif : les progrès d’ordre économique, local, social sont notoires dans ces milieux dans lesquels le KMT exerce une certaine influence, et à cela s’ajoute le fait que cette politique ait fragilisé les bases de l’irrédentisme, bien que celles-ci aient également souffert du mécontentement social dû à la corruption de l’entourage présidentiel. Le DPP répondra à l’intelligente politique de Hu Jintao à niveau interne, avec l’intensification de sa politique identitaire, ainsi qu’un effort plus important dans son projet international, qui se soldera par peu de succès et des revers substantiels. À l’annonce du changement de nom (Taïwan au lieu de République de Chine) ou d’une nouvelle Constitution capable de définir les contours d’une nouvelle réalité renonçant à représenter toute la Chine, il suivra la proposition de célébrer une consultation plébiscitaire à propos de l’adhésion aux Nations Unies par une fuite en avant avec de rares chances de matérialisation. Au contraire, ce radicalisme provoquera des tensions et fragmentera la société taïwanaise, et il rapprochera deux vieux ennemis, le PCC et le KMT.


Stratégies obliques et unification de fait (2008-2012)

La double victoire du KMT en 2008, avec une large majorité absolue au Yuan législatif et la Présidence de la République entre ses mains, ouvre une nouvelle ère politique dans laquelle les relations avec le continent seront d’une extrême importance, même si, contrairement à la longue période précédente présidée par une « guerre froide résiduelle » elles seront désormais très favorisées par la stabilité et la volonté d’arriver à un accord.

Le virage à 180 degrés imprimé par le KMT dans la politique taïwanaise, en corrélation avec la nouvelle politique stimulée par Hu Jintao à partir de 2005 est le résultat d’un triple processus. Premièrement, l’usure du DPP, accélérée par les accusations de corruption de Chen Shui-bian et de son entourage. Deuxièmement, l’affirmation du leadership de Ma au sein du KMT, associé à l’honnêteté et au renouveau, avec une ouverture à la société et le dépassement des principales divisions internes, et un discours à nouveau centré sur une taïwanisation nuancée qui ne renie pas l’unification avec le continent. Troisièmement, le bon fonctionnement de l’entente entre KMT et PCC qui se développe dans un environnement majoritairement partisan de la non-confrontation.

Le programme initial de Ma repose sur les orientations suivantes. Premièrement, l’accélération des liens avec Beijing, par la stimulation de la normalisation des contacts direct, le tourisme, l’élimination progressive des restrictions en matière d’investissements etc., par la configuration de cette proposition de construire un « marché commun » qui n’empêche pas les chefs d’entreprise taïwanais de bénéficier de l’essor économique enregistré de l’autre côté du détroit. Deuxièmement, quant à la souveraineté, Ma prône un accord de « non refus » mutuel qui tienne compte de la réalité existante et offre l’opportunité à Taïwan de disposer d’un espace international approprié en réduisant la belligérance diplomatique qui faisait partir Taipei perdant. Troisièmement, la volonté de négocier et de signer l’accord de paix réitéré par Hu Jintao, mais à condition que les plus d’un millier de missiles continentaux dirigés vers l’île soient retirés. Avec des échanges économiques en hausse et la prévision d’un accord de paix, Ma envisage également une augmentation des dépenses militaires, qui passeront de 2,6 à 3%, même si elles seront maintenues à un niveau inférieur aux attentes du DPP, entravées par le KMT de par sa majorité au Yuan législatif.

En avril 2008, au cours d’un nouveau forum économique organisé à Bo’ao, Hu Jintao et Vincent Siew, qui deviendra bientôt le vice-président de Ma, et qui participe à la rencontre en sa qualité de président de la Fondation pour le Marché Commun à travers le détroit de Taïwan, décident de relancer le processus de dialogue interrompu en 1996 à la suite du 20 mai, date prévue pour la prise de possession de la nouvelle équipe du KMT. (17)

Le caractère constructif du dialogue bilatéral entre le PCC et le KMT trouve alors un soutien institutionnel d’une grande importance. Après la rencontre de Bo’ao, Ma  annonce que dès sa prise de pouvoir il encouragera la relance des contacts entre l’ARATS et la SEF, avec l’objectif de profiter de l’actuelle atmosphère favorable entre les deux parties pour renouer le dialogue sur des bases éminemment pratiques. La première réunion aura lieu en juin 2008 à Beijing, et ces réunions se reproduiront de façon alternative tous les six mois. La suivante aura lieu en décembre à Taïwan.

Dans un premier temps, les attentes se centrent sur trois variables. Du point de vue économique, le rapprochement se voit confirmé et favorisé par l’engagement et par l’élan donné par les élites des entreprises des deux pays ainsi que par la régularisation progressive de la communication directe. La promotion du dialogue économique conduit à la mise en place d’un marché commun avec une libre circulation des capitaux, des biens et des personnes. La coopération politique progresse plus lentement, mais avec un dialogue inter-partisan ouvert auquel s’ajoute ce que la SEF et l’ARATS ont établi. C’est dans le troisième domaine, celui de la sécurité, qu’une contrariété pourrait obscurcir l’horizon du traité de paix réitéré par Hu Jintao en mars 2008.

La visite à Taïwan de Chen Yunlin, le principal négociateur continental, en novembre 2008, est la première visite d’un haut responsable continental depuis la fin de la guerre en 1949 (18). Ma le reçoit en personne. Grâce à la signature de quatre accords en matière de communications et de sécurité alimentaire, une volonté de coopération s’institutionnalise, ouvrant une nouvelle ère caractérisée par l’importance de l’habilitation et du développement des espaces de compréhension, même s’ils évolueront à une vitesse différente para rapport aux cadres de dissension.

Le développement des liaisons maritimes, la suppression de l’obligation de passer par l’espace aérien d’un autre territoire pour les vols directs (qui passeront rapidement à plus de 100 vols hebdomadaires, en augmentant également le nombre de villes chinoises et taïwanaises reliées), la normalisation des échanges postaux, etc., étaient des mesures longuement réclamées. Les avions et les embarcations peuvent à présent traverser le détroit de Taïwan de façon directe. La première route aérienne créée est celle reliant  Taipei à Shanghai, et elle met fin à une situation datant de 1949 qui obligeait à passer par un troisième endroit. Les leaders des entreprises de Taïwan offrent leur soutien sans faille à ces mesures (l’économie annuelle sur les coûts se chiffre à 90 milliards de dollars), soutien renforcé face aux mauvaises perspectives économiques pour l’année 2009.

La libéralisation des échanges avance à un rythme trépidant. En décembre 2008, après que la garantie de conversion du yuan continental et du dollar taïwanais ait été donnée, il est annoncé que les virements monétaires entre les deux rives du détroit seront possibles en février suivant. Au cours du IVe  Forum Économique, Commercial et Culturel, organisé par le PCC et le KMT et clôturé à Shanghai le 21 de ce mois, des mesures et des politiques sont accordées afin de répondre à la crise financière et d’ouvrir de nouvelles possibilités d’affaires et d’investissements aux chefs d’entreprise de l’île. La Bourse de Taipei s’ouvre aux investisseurs institutionnels continentaux, mais de façon un peu restreinte afin d’éviter qu’ils puissent contrôler les sociétés insulaires. Le montant limite des investissements taïwanais dans les bourses chinoises augmente (il passe de 40 à 60 % de leur capital net). La normalisation des communications et les progrès de la coopération industrielle dans des secteurs comme l’aéronautique, le secteur pétrolier, le secteur de l’automobile, celui des semi-conducteurs etc., prédisent déjà un prochain accord global. De plus, les deux parties mettent à l’étude des mesures conjointes pour soutenir les fabricants taïwanais présents dans le sud de la Chine et très affectés par la récession économique globale. 


Dans un discours prononcé à l’occasion du 30e anniversaire du « Message aux compatriotes de Taïwan » (1979), Hu Jintao annonce six nouvelles propositions (19) en vue d’accélérer le rapprochement dans le détroit de Taïwan, laissant entrevoir des signes de flexibilité non seulement liés à l’économie, mais qui affectent également des variables sensibles liées aussi bien à l’espace international de la République de Chine qu’au domaine des échanges militaires. C’est la seule chose qui puisse expliquer, par exemple, que le Paraguay n’ait pas reconnu Beijing, annonce formulée par son mandataire, Fernando Lago, au cours de ses premières déclarations en tant que président élu. De plus, la Chine continentale facilite l’accès de Taipei à des instances telles que l’Accord multilatéral sur les marchés publics de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui était bloqué depuis six ans, en lui permettant également de participer et de voter au sein de l’Agence de Coopération et d’Information pour le Commerce International, où elle a un rôle d’observatrice depuis 2007, ou en lui permettant d’assister aux réunions de l’OMS.   

Dans l’ordre conceptuel, Ma refuse de parler de « relations spéciales d’État à État », formule employée par l’ex président Lee Teng-hui et responsable de la rupture du dialogue établi au début des années 90, en proposant le concept de « deux régions » de chaque côté d’une même Chine (20), une dénomination qui permet d’éviter les disputes au sujet de l’épineux problème de la souveraineté, en esquivant le refus mutuel et en permettant une plus grande flexibilité dans la projection internationale. Cette approche suppose une évolution historique qui influence le fait de l’identité régionale mais qui ne dispose pas du soutien suffisant pour aller au-delà d’un simple particularisme de l’ensemble de la nation chinoise.

On pourrait penser que les citoyens se réjouiraient des initiatives audacieuses prises par rapport au continent, et vues comme un mécanisme de revitalisation de l’économie domestique, mais ce n’est pas le cas. Au contraire, de nombreux taïwanais se méfient des conséquences du rapprochement sur des aspects aussi prosaïques que le prix du logement, le commerce ou le tourisme. Personne ne semble croire à la panacée que certains prédisent avec la mise en place d’un marché économique commun et l’élan vers une plus forte intégration dans la zone ASEAN. La rapidité avec laquelle ont lieu les évènements provoque plus de méfiance que prévu, même si Ma répète inlassablement que la souveraineté n’est pas remise en cause.

En parallèle, l’opposition, très affectée par le legs honteux de l’ex président Chen Shui-bian, montre les signes d’un rétablissement rapide malgré le fait que son ex-leader se trouve en prison de façon provisoire, accusé de corruption et de blanchiment d’argent et que les dommages collatéraux de son comportement hasardeux éclaboussent à chaque pas la vie politique de l’île. Cela oblige le KMT à expliquer beaucoup mieux sa politique s’il souhaite gagner l’opinion publique et à proposer à la Chine continentale l’exigence de concessions significatives qui puissent aider Ma à gagner en crédibilité face à ses concitoyens.
Si ce n’est pas le cas et que les choses ne changent pas, étant donné l’impossibilité de négocier cette politique avec le KMT, cela mettra sérieusement en danger sa réélection en 2012.       

L’aggravation de la crise économique globale et ses conséquences fournissent un argument supplémentaire pour resserrer les liens économiques que les deux parties ont su administrer en accélérant les procédures pour la signature de l’EFCA. Pour cette raison, la priorité numéro un reste l’économie.

Au cours de la réunion tenue par Hu Jintao et Lien Chan au sommet de l’APEC, célébré à Singapour à la mi-novembre 2009, le choix est fait d’insister sur la promotion des échanges commerciaux afin de faire avancer les relations bilatérales. Cette question est le point d’orgue de la réunion de l’ARATS et de la SEF à Taichung, au centre de Taïwan, au milieu de fortes protestations de la part de l’opposition.

L’année 2009 permet la signature de plusieurs accords visant à consolider la coopération bilatérale, renforcée par des dons financiers en raison du typhon Morakot et des missions d’achat comme celle effectuée par des entreprises de Jiangsu (intégrée par environ 3000 personnes et possédant des acquisitions d’une valeur de 4130 dollars américains).

Un autre accord est signé, relatif à la gestion et la supervision bancaire, qui permettra, entre autres, l’établissement respectif de succursales bancaires. D’autre part, la Chine commande une quantité importante de produits agricoles à Taïwan (pour un montant de 1250 dollars américains jusqu’à fin 2010). Les autorités de Fujian, une province située en face de l’île, pour leur part, décident de promouvoir une zone économique qui servira de plate-forme de coopération entre les deux rives du détroit de Taïwan. De plus, la Chine continentale multiplie les offres faites aux entreprises taïwanaises afin qu’elles soient plus présentes sur le territoire, augmentant ainsi son niveau d’attrait, après la lente diminution des obstacles qui limitant les relations et l’activation des facteurs facilitant la communication, depuis les transports jusqu’à la langue ou la culture.

Le premier test électoral après le nouveau cap aura lieu le 5 décembre 2009, pendant les élections au cours desquelles seront élues les 17 assemblées de district et leurs chefs, de même que les maires et les conseillers des villes situées dans ces districts. Plus que des élections locales, la participation active à la campagne du président du KMT, Ma Ying-jeou et de la nouvelle présidente du DPP Tsai Ing-wen, fait que la lutte électorale revête le caractère d’une sorte de première consultation sur la politique taïwanaise.  

Bien que les élections doivent mesurer le degré de soutien du peuple envers le gouvernement de Ma, ce qui est sûr c’est que la combinaison des résultats et le fait que les principales agglomérations urbaines n’aient pas participé au processus ne permet pas de tirer d’autre conclusion, à part que rien n’a vraiment changé, hormis la victoire incontestable du DPP. Le vote punitif réclamé par l’opposition n’est pas enregistré, mais il permet sans aucun doute de consolider des possibilités pour l’avenir qui exigent au KMT une gestion particulièrement attentive de l’évolution de l’opinion publique. Le KMT gagne sur tous les plans (nombre de voix, de maires, de conseillers...), y compris les élections législatives partielles célébrées dans le comté de Nantou, mais avec une tendance légèrement descendante. La stratégie utilisée afin d’inverser cette tendance est d’accélérer les accords avec la Chine continentale pour que ses effets positifs puissent se concrétiser à temps face à de futurs engagements électoraux.

Les élections locales démontrent également l’existence d’une base sociale opposante très solide et servent à renforcer le leadership de Tsai Ing-wen, la présidente du DPP. Le DPP s’est très vite remis des dommages infligés par la corruption de l’ex-président Chen Shui-bian et trouve en l’accord économique prévu avec la Chine un parfait cheval de bataille pour continuer à mobiliser son électorat.

La négociation de l’ECFA, qui sera signé le 29 juin 2010 à Chongqing marquera à partir de ce moment le débat entre le gouvernement et l’opposition sur un terrain sur lequel Ma semble se sentir plus à l’aise. Cependant, Ma devra affronter certaines difficultés.

Après deux ans révolus de gouvernement du KMT à Taïwan, le contraste avec le mandat du DPP (2000-2008) ne peut pas être plus frappant. À la moitié de la législature, 12 accords ont déjà été signés entre l’ARATS et la SEF. Ce rythme met en évidence les progrès imparables de l’entente bilatérale sur toutes les questions qui ne sont pas directement reliées au noyau dur du problème : la défense ou la politique. Depuis le début de l’année 2010, de hauts fonctionnaires de la municipalité de Shanghai et des provinces de Hubei, Fujian, Guizhou, Qinghai, Shandong, Sichuan et Zhejiang,  ainsi que du Ministère du Commerce et de l’Agriculture, ont effectué des visites à Taïwan et de multiples missions d’achat. Le IIe Forum à travers le détroit, organisé dans la province chinoise de Fujian, au Sud-est entre le 18 et le 25 juin, réunit plus de 10 000 personnes.

Les exigences publiques de retrait des missiles (21) qui visent l’île (formulées par la présidente du Conseil des Affaires de la Chine Continentale, Lai Shin-yuan, dans un discours prononcé devant le Parlement européen) ou les informations qui filtrent à propos d’un soi-disant plan de Taipei en trois étapes afin d’arriver au rapprochement entre les deux rives, en évitant la réunification, ne semblent pas fragiliser la confiance mutuelle ni ternir un processus si vertigineux.

La célébration du Double dix de 2010 non plus, utilisée par Ma pour réclamer la libération du Prix Nobel Liu Xiaobo et annoncer la création d’un comité consultatif en matière de Droits de l’Homme, mettant ainsi l’accent sur un domaine de différenciation vis-à-vis du continent, indépendamment des progrès de l’entente, à partir du moment où il est possible d’arriver à un accord. Ma est l’un des neuf chefs de l’État solitaires dans le monde à avoir félicité le dissident Liu Xiaobo lorsque le Prix Nobel de la paix lui a été décerné. (2010). (22)

Les élections municipales partielles du 27 novembre 2010 sont à nouveau abordées comme un plébiscite de la politique continentale du KMT et une claire anticipation des présidentielles de 2012. Les résultats, qui touchent près de 60 pour cent de la population de l’île, dessinent une scène politique conditionnée par la poursuite du bras de fer entre les deux forces principales : Le KMT et le DPP. Le premier obtiendra trois mairies sur les cinq souhaitées, mais avec le même nombre de conseillers que son adversaire, et il perdra des voix. Ma pouvait prétendre à une réélection sans être remis en cause par son propre parti, mais d’une certaine manière sa victoire était garantie. (23)

L’amélioration des attentes du DPP n’est pas sans lien avec le charisme démontré par son nouveau leader, Tsai Ing-wen, mais également avec une modération qui annonçait des changements dans un domaine particulièrement sensible pour les indépendantistes, le renoncement factuel à demander la pleine souveraineté de Taïwan. Le revirement effectué vers la modération avec la création de la New Frontier Fundation est un premier pas, avec des objectifs électoraux initiaux, mais qui pourrait se renforcer dans l’hypothèse d’un résultat défavorable au cours d’autres luttes (24). Le PCC, tant qu’il n’admettra pas le « Consensus de 1992 », ne négociera pas avec le DPP.

Toute l’année 2011 est marquée par une tension politique élevée, les uns et les autres incitant la société taïwanaise à choisir son destin à une heure vécue comme cruciale pour son avenir. Le KMT et le DPP tentent d’arrondir les angles au maximum afin de rallier à leur cause les indécis situés au centre du spectre politique mais ils mettent également leur différences en avant afin de se rendre plus visible auprès de l’électorat. La commémoration du premier centenaire de la Révolution de Xinhai (1911) nous montre un DPP refusant de participer aux activités officielles et un KMT évitant que la célébration ne devienne une nouvelle manifestation d’entente avec une Chine continentale qui la célèbre également pour son propre compte et à sa façon.

Le point d’inflexion du va-et-vient se produira durant les élections présidentielles et législatives du 14 janvier 2012, auxquelles les deux partis se présenteront avec des pronostics très serrés et des électorats restés pratiquement intacts durant les quatre dernières années.

L’intervention ouverte de puissants leaders d’entreprise en faveur du KMT (25) est une donnée particulièrement novatrice et importante de cette campagne. Les grands groupes d’entreprises, mais également de nombreuses PME, affirment que la situation enviable de l’île est due, en grande partie, à l’existence de relations saines avec la Chine continentale, en prenant comme exemple la générosité de l’ECFA et ses conséquences sur l’accroissement du PIB. Cela est d’une extrême importance, disaient-ils, à un moment où l’économie mondiale se trouve particulièrement fragilisée, ce qui fait du développement des relations avec l’autre rive du détroit un motif impondérable.

Le KMT obtiendra le soutien de 6 891 139 électeurs (51.6 %), c’est-à-dire, 768 875 voix de moins que celles obtenues en 2008. Son rival allié, le PFP, ne pourra pas le battre, même s’il comptabilise 369 588 voix.

Au contraire, bien qu’elle ait perdu, l’opposition fait preuve d’une grande force. Elle obtient 45,6 % des suffrages (contre  41,55 % en 2008) et 6 093 578 voix (648 629 de plus qu’en 2008). Elle confirme les pronostics qui lui prédisaient un soutien plus important, bien qu’il soit insuffisant pour atteindre son objectif de vaincre le KMT, en partie en raison de l’échec de la captation des votes nationalistes en faveur du DPP.

Les mêmes tendances seront constatées au sein du Yuan législatif : un recul du KMT et une progression du DPP à un niveau qui n’affecte pas le spectre essentiel de l’espace politique parlementaire : le KMT obtient une majorité absolue avec 64 sièges (17 de moins qu’en 2008). La perte éventuelle de la majorité absolue (qui résiste seulement grâce à 7 voix) durant le mandat, se profile à l’horizon.

La réélection de Ma est de toute façon un triomphe personnel dans la mesure où il confirme son pari d’un rapprochement entre Taipei et Beijing, concrétisé durant les dernières années par l’ouverture des communications directes, l’arrivée massive de touristes, les échanges entre étudiants, l’ECFA ou la promotion du discours de la « Grande Chine » qui somnolait jusqu’à maintenant aux oubliettes. Sa victoire indique que la majorité des taïwanais souhaitent poursuivre cette politique. Cependant, de nombreuses personnes ont été surprises par la rapidité à laquelle la relation avec la Chine a évolué, et il est possible que cela ait eu une influence sur les pertes accusées par le KMT, tout comme une certaine emphase d’un nationalisme chinois plus profonde que celle exprimée pendant la campagne de 2008.

Conclusions

Le processus décrit suggère certaines conclusions. Premièrement, il est important de remarquer la cohérence générale des principaux acteurs du contentieux, attitude complétée par des démonstrations successives de flexibilité, de différente intensité, afin de faciliter l’atteinte de leurs objectifs stratégiques. Cette flexibilité est une valeur positive qui doit se renforcer, car elle contribue à parvenir à une solution pacifique.

Deuxièmement, l’entente entre le KMT et le PCC est la clé de la stabilité des deux rives du détroit. Leur dialogue repose sur la force qui inspire et module le rapprochement. L’acceptation du « Consensus de 1992 » confirme le processus, bien qu’elle n’apporte pas de garanties absolues d’irréversibilité.

Troisièmement, la principale fragilité de la dynamique actuelle repose sur la fluidité de la politique taïwanaise, qui requiert une attention importante. Les possibilités de progrès sont directement proportionnelles à la capacité du KMT à garantir sa position hégémonique à Taipei. Celle-ci dépend de sa capacité à exprimer un équilibre délicat entre sa soif de continent et l’identité taïwanaise. Du côté continental, l’affaiblissement de l’influence de l’EPL dans la conduite de la politique vis-à-vis de Taïwan peut faciliter les progrès de manière substantielle.

Quatrièmement, la non-confrontation est une demande qui jouit d’un important soutien social et politique. Cela confère à la société civile d’importantes capacités d’influence sur le processus aussi bien de manière autonome qu’en exerçant une pression sur la façon d’agir des acteurs politiques et institutionnels. 

Cinquièmement, la défense du statu quo est le point de départ de n’importe quel consensus proprement taïwanais. Ni l’unification ni l’indépendance ne jouissent aujourd’hui d’appuis majoritaires. Cette prévalence sera renforcée par l’augmentation de l’interdépendance économique et l’augmentation des contacts à d’autres niveaux.

Sixièmement, les rapides progrès constatés durant ces dernières années ne prédisent pas nécessairement une solution rapide au contentieux. Au contraire, nous pouvons imaginer une scène à plusieurs vitesses qui exigeront des laps de temps de réalisation différents. La Chine continentale aura besoin de plus que d’être attractive économiquement pour dissiper les réticences de la société taïwanaise.

Enfin, il n’y a pas de feuille de route préétablie. Les deux parties, en faisant preuve d’une attitude ouverte, doivent tâter le terrain, évaluer les procédures et les alternatives, tout en étant disposées à créer de nouvelles formes d’existence internationale qui dépassent les options classiques basées sur une réunification sans nuances.

 


NOTES

(1) Voir Lu Yu-Ting, Taiwán, Historia, política e identidad, Éditions Bellaterra, 2009.
(2) Dans Alagappa, Muthiah: Taiwan’s Presidential Politics. Democratization and Cross-Relations in the Twenty-first Century, Armonk, 2001.
(3) Ríos, Xulio, Elecciones en Taiwán: ¿antesala de un cambio?, disponible sur www.igadi.org. Date de consultation: 2 février 2012.
(4) Selon ce principe, il n’y a qu’une nation dans le monde portant le nom de Chine et, de ce fait, la Chine continentale, Hong Kong, Macao et Taïwan en font partie.
(5) La diplomatie du dollar impliquait une aide économique millionnaire en échange d’un soutien diplomatique. Souvent, ces actions s’accompagnaient de pratiques de corruption. Différents présidents et autres autorités des pays comme le Costa Rica, le Panama ou le Nicaragua, entre autres, se sont vus impliqués dans des scandales liés à ces pratiques.
(6) Une explication sur: http://www.idcpc.org.cn/english/policy/3represents.htm (Date de consultation: 2 février 2012).
(7) Ríos, Xulio: « China-Taiwán, altos vuelos », dans Agencia de Información Solidaria, 4 février 2005. Disponible sur www.igadi.org
(8) Les « huit points » peuvent être consultés dans Ríos, Xulio: « Taiwán, el problema de China », La Catarata, 2005, pages. 198-201.
(9) Il est possible de trouver certaines réactions sur http://spanish.peopledaily.com.cn/31619/3362728.html (Date de consultation: 2 février 2012).
(10) Rios, Xulio: « Taiwán, nuevo revés para Chen Shui-bian », dans La Insignia, 10 décembre 2005.
(11) Rios,  Xulio: « La paradiplomacia asimétrica de China en Taiwán », Agence d’Información Solidaire, 19 avril 2006.
(12) Disponible sur http://english.peopledaily.com.cn/200604/16/eng20060416_258782.html (Date de consultation: 2 février 2012).
(13) La lettre de Shih Ming-Teh au président Chen, disponible sur http://www.nori.org.tw/english/main3.asp (Date de consultation: 2 février 2012).
(14) Rios, Xulio: « Statu quo en Taiwán, ni ganó el KMT ni perdió el PDP »  dans Argenpress, 12 décembre 2006.
(15) Declara ejército de China “tolerancia cero” con independencia de Taiwán. Disponible sur http://spanish.peopledaily.com.cn/31621/6228735.html (Date de consultation: 2 de février 2012).
(16) Analyse du XVIIe Congrès du PCC dans: Rios Xulio, « ¿Mano dura con Taiwán? », Argenpress, 13 octobre 2007.
(17) Vincent C. Siew: Taiwan to promote cross-Strait trade, economic ties, disponible sur  http://news.xinhuanet.com/english/2008-04/14/content_7969826.htm (Date de consultation: 2 février 2012).
(18) Cabestan, Jean-Pierre, Ironies and lessons of Chen Yunlin's visit to Taiwan, 19 novembre 2008, disponible sur http://www.nottingham.ac.uk/cpi/publications/commentaries-reports/2008/cabestan-taiwan-19-11-2008.aspx (Date de consultation: 2 février 2012).
(19) Discours du président chinois à propos de Taïwan, disponible sur http://www.spanish.xinhuanet.com/spanish/2009-01/04/content_791756.htm (Date de consultation: 2 février 2012).
(20) Au cours de déclarations faites au journal El Sol de México le 2 septembre 2008, disponible sur http://www.oem.com.mx/oem/notas/n836891.htm (Date de consultation: 2  février 2012).
(21) Disponible sur: http://www.emol.com/noticias/internacional/2009/12/23/390635/taiwan-pide-a-china-que-retire-sus-misiles-para-lograr-la-reconciliacion.html (Date de consultation: 2 février 2012).
(22) Disponible sur: http://www.vanguardia.com.mx/taiwanpideliberaciondeliuxiaobo-566620.html (Date de consultation: 2 février 2012)
(23) Ríos, Xulio: « Cuenta atrás en Taiwán », dans La Vanguardia, 8 décembre 2010).  Également dans Taiwán: elecciones y unificación, ARI Real Instituto Elcano, 19 janvier 2011.
(24) DPP Chair Tsai Ing-wen's remarks at opening of New Frontier oundation think tank, disponible sur http://dpptaiwan.blogspot.com/2011/02/dpp-chair-tsai-ing-wens-remarks-at.html (Date de consultation: 2 février 2012).
(25) Le président d’Evergreen manifeste publiquement son soutien au Consensus de 1992, sur Radio Taiwán Internacional, 4 janvier 2012, disponible sur http://spanish.rti.org.tw/Content/GetSingleNews.aspx?ContentID=138346 (Date de consultation: 2 février 2012)